ANTOINE DOCHNIAK

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(FR)   L'ensemble s'appelle ruche, il est une unité miniature, un miroir du tout, une sphère neutre intersubjective où chaque conscience unique communique. Chaque être y demeure en dialogue permanent avec ce monde qui le contient.

Ce qu’on pourrait appeler tout, commence à l’abri d'un coffre scellé d'une résine millénaire. À chaque aller et venu dans la cellule, c'est la densité de l’édifice qui domine. Son poids écrase et réconforte. Aucun bruit ne résonne ici, la précision des matières choisis par leur ancestrale expérience de construction rend l’endroit à la fois décroché du paysage et organiquement mêlé à son environnement. Imperméable à toute action du dehors, mais subissant des changements internes, la structure obéit aux principes d'appétition et de perception de ses habitantes.

Dans cet espace géométriquement parfait, il n'y a pas de fenêtres par lesquelles pénétrer. Les actions de l'extérieur ne peuvent le modifier, seule une pénétration ultime d’un dard indivisible saura libérer la substance de l’intérieur. Les plis baroques d’une membrane visqueuse et collante tapissent les parois. Elles forment des courbes et des contre-courbes en mouvement qui brouillent les distances, rapprochent les contraires et multiplient les ombres.

Dans ce monde au-delà de l'architecture, il y a un haut, il y a un bas. Il s'étire entre la matière et l'esprit en une superposition infinie de plans, de surfaces glissant les unes sur les autres: monde feuilleté, labyrinthe stratifié, où le multiple toujours triomphant multiplie toujours. L'univers qui se déploie ainsi est un univers sans être, sans unité, sans identité, où rien n'est jamais le même : un plurivers. À chacune de leurs sorties butinages parmi le complexe agencement d'espèces qui évoluent continuellement à l’extérieur, les habitantes effectuent un rapport d’inclusion réciproque entre le monde du Dehors et du Dedans.

Les files de trames du désordre extérieur se croisent se mêlent et s’accrochent à l’ordre des files de chaînes internes. De chaque sortie naît un nœud, indispensable à la création des circonvolutions qui tissent une mémoire collective.

Le travail nécessaire aux plissements épuise les habitantes, mais de leur création infinie en dépende leur survie, car rien ne peux exister hors d’eux. À chaque envol le monde du dedans leur fait battre les ailes, activer leur trompe ou s’abreuver. Il n’y a pas de place à la contemplation, mais seulement à l’accomplissement d’une tâche répétitive démise de subjectivité, indissociable de l’être.

Alors elles s’attellent à concevoir et remplir de nouvelles combinaisons hexagonales à leur tour précaires, provisoires et répétitives. La substance produite à l'abri au dedans est perpétuellement actualisée de virtualités puisées dehors. De nouvelles voix se réalisent et s’expriment en elle, sans que jamais elles ne soient définitives et immuables.

Son niveau n’est que fluctuations, son relevé à un instant n’est qu’une spéculation, il est à la fois l’envers et le revers du pli, englué entre les mailles serrées de la toile réalité.

Lentement, l'épais mélange d'ambre coule et imprègne les plis qui tapissent les cavités. Chaque goutte qui tombe jusqu’à la mer d'airin qui domine le centre du monde est leur unité de temps. Chaque cellule remplie du dehors se déplie dans des chemins qui tous mènent à l’étendue sacrée pour s’y déverser. Le soir des nuits chaudes de la fin du printemps, un déluge musical déferle dans l'atmosphère. Un doux tapis de pollen déposé, les contacts rapprochés, les corps échauffés. Une orgie de bruit se transforme progressivement en mélodie, les corps vrombissent, les poils se frottent et s’hérissent. La chaleur dépasse maintenant 40 degrés tant l'excitation frénétique d’échange s'empare des exosquelettes. Aussitôt, dans un fluide immobile, une formation d’êtres décolle et se dispose en vol stationnaire autour de la foule. Du battement synchronisé de leurs ailes surgit un vent frais puissant. Les crochets de chaque paire de leurs mandibules s'ouvrent et se referment dans un fracas rythmique, les maxilles se déploient et se mêlent, les pâtes s'animent et s'accrochent aux abdomens, les ailes vibrent dans un bourdonnement sourd, les glandes s'ouvrent et libèrent des phéromones qui progressivement submerge l'air de la pièce pour ne laisser plus que place à l'excitation des sens et à la tente sombre commune. Les antennes recouvertes d'une fine poudre luisante et odorante se frottent les unes aux autres et provoquent une décharge des consciences. Chaque être devient l'oubli et le corps de l'autre, il n'y a plus qu'une seule masse qui danse dans cette mélasse collante. La musique se fait forte, les murs de céramique vibrent, dehors, la nuit calme est pénétrée par l’oscillation. Dans les chambres inférieures, le plancher résonne et déclenche l'éclosion des larves qui craquent leurs opercules, la grande prêtresse, sentant le rythme des pas s'intensifier, entre en résonance. Chaque oscillation abdominale expulse un accouchement. La substance oscille au rythme de la production, la fête est productive.

Antoine Dochniak



À la recherche d’un partenaire de jeu pour palier à la solitude nocturne , 2021, acier étiré, planche à propolis en sapin, aluminium, propolis, bulbe séché de pavot, fonte d’aluminium, caramel de pastèque, Faire Essaim, Moly-Sabata, Sablons.
Leurre de Nasonov, 2021,
acier, grès émaillé, verre soufflé par Clément Le Mener, ruches en terre cuite pensées et construites par Maurice Chaudière, Faire Essaim, Moly-Sabata, Sablons.

Goodbye digitalis, 2021,
acier inoxydable, cire d’abeille, verre soufflé par Clément Le Mener, Faire Essaim, Moly-Sabata, Sablons.












(EN)   The entire set is called "hive"; it is a miniature unit, a mirror of the whole, an intersubjective neutral sphere where each unique consciousness communicates. Each being remains in constant dialogue with the world that contains it.

What could be called the "whole" begins within a chest sealed with millennia-old resin. With each entry into the cell, the density of the structure dominates. Its weight crushes and comforts. No sound resonates here; the precision of the materials chosen for their ancestral construction experience makes the place both detached from the landscape and organically blended with its environment. Impermeable to external actions but undergoing internal changes, the structure follows the principles of the appetition and perception of its inhabitants. In this geometrically perfect space, there are no windows through which to enter. External actions cannot modify it; only an ultimate penetration of an indivisible sting will release the substance from within. Baroque folds of a viscous and sticky membrane line the walls. They form moving curves and counter-curves that blur distances, bring opposites closer, and multiply shadows.

In this world beyond architecture, there is an up, there is a down. It stretches between matter and spirit in an infinite superposition of planes, surfaces sliding over each other: a layered world, a stratified labyrinth, where the always triumphant multiple always multiplies. The universe that unfolds in this way is a universe without being, without unity, without identity, where nothing is ever the same: a pluriverse.

With each of their foraging outings among the complex arrangement of species continually evolving outside, the inhabitants establish a report of reciprocal inclusion between the world Outside and Inside. The threads of the disorder outside cross, blend, and cling to the order of the internal chain threads. From each exit, a knot is born, essential to creating convolutions that weave a collective memory. The necessary work of the folds exhausts the inhabitants, but their infinite creation depends on it because nothing can exist outside of them. With each flight, the world inside makes their wings beat, activates their proboscis, or quenches their thirst. There is no room for contemplation, only for the accomplishment of a repetitive task devoid of subjectivity, inseparable from being.

So, they set out to conceive and fill new hexagonal combinations, in turn precarious, provisional, and repetitive. The substance produced inside, sheltered from within, is perpetually updated with virtualities drawn from outside. New voices materialize and express themselves in it, never definitive and immutable.

Its level is only fluctuations, its reading at a moment is only speculation; it is both the underside and the reverse of the fold, stuck between the tight meshes of the reality web.

Slowly, the thick amber mixture flows and impregnates the folds lining the cavities. Each drop that falls to the sea of airin dominating the center of the world is their unit of time. Each cell filled from the outside unfolds in paths that all lead to the sacred expanse to pour into it. On the evenings of warm late spring nights, a musical deluge rushes into the atmosphere. A gentle carpet of pollen is deposited, close contacts, heated bodies. An orgy of noise gradually transforms into a melody; bodies hum, hairs rub and bristle. The heat now exceeds 40 degrees as the frenzied exchange takes hold of the exoskeletons. Immediately, in still fluid, a formation of beings takes off and hovers around the crowd. From the synchronized beating of their wings arises a powerful cool breeze. The hooks of each pair of mandibles open and close in rhythmic crashes; the maxillae unfold and intertwine, the legs come to life and cling to the abdomens, the wings vibrate in a dull hum, the glands open and release pheromones that gradually flood the room's air, leaving only room for the excitement of the senses and the common dark tent. Antennae covered with a fine shiny and fragrant powder rub against each other and cause a discharge of consciousness. Each being becomes the forgetting and the body of the other; there is only a single mass dancing in this sticky molasses. The music becomes loud, the ceramic walls vibrate; outside, the calm night is penetrated by the oscillation. In the lower chambers, the floor resonates and triggers the hatching of the larvae that crack their opercula; the high priestess, feeling the rhythm of the steps intensify, resonates. Each abdominal oscillation expels a birth. The substance oscillates to the rhythm of production; the celebration is productive.

Antoine Dochniak



In search of a playmate for nocturnal loneliness , 2021, drawn steel, fir propolis board, aluminum, propolis, dried bull poppy, cast aluminum, watermelon caramel, Faire Essaim, Moly-Sabata, Sablons.

Nasonov's decoy , 2021,
steel, enamelled stoneware, blown glass by Clément Le Mener, terracotta beehives designed and built by Maurice Chaudière, Faire Essaim, Moly-Sabata, Sablons.

Goodbye digitalis, 2021,
stainless steel, beeswax, blown glass by Clément Le Mener, Faire Essaim, Moly-Sabata, Sablons.













BIOGRAPHIE

NÉ EN 1997 À ARRAS
VIT ET TRAVAILLE À PARIS

Après avoir obtenu une licence à l’ESAD de Valenciennes, Antoine Dochniak a poursuivi sa formation à l’Ensba de Lyon où il obtient son DNSEP en 2020. Parallèlement à sa pratique plastique, il mène un travail de commissariat d’expositions avec l’artiste Pierre Allain. En 2021, il participe à l’exposition collective Le début de la fin à l’Institut d’art contemporain, Villeurbanne/Rhône-Alpes, en collaboration avec l’Ensba de Lyon. En 2022, Antoine Dochniak est retenu dans la sélection du 66e Salon de Montrouge. Cette même année, il présente une exposition personnelle, The cage we live in, à l’Attrape-couleurs, Lyon. En outre, son activité curatoriale a donné lieu à plusieurs temps d’expositions, notamment à monopôle, artist run-space à Lyon (Daylight All Night Long, 2021 ; Be My Body, 2022). Antoine Dochniak définit ses œuvres comme des zones fictionnelles. Ses sculptures aux formes hybrides, composées de matériaux organiques (pétales de fleurs, pollen, résine de pin, cire d’abeille…) entremêlés à des éléments industriels, dessinent dans l’espace des présences énigmatiques. Elles matérialisent des liens paradoxaux (nœuds, attaches, enchâssements, suspensions, recouvrements…). Souvent nommées par des titres narratifs – d’une narration désenchantée –, les sculptures d’Antoine Dochniak portent en elles un propos de résistance et une dimension rituelle, comme pour conjurer les dangers du monde. Pour le programme Galeries Nomades de l’IAC, Villeurbanne/Rhône-Alpes, il exposera au Temple de Saoû (Drôme) du 14 octobre au 16 décembre 2023.



"Il paraît qu’il serait possible, avec des phéromones de synthèse, d’envoyer aux abeilles de fausses alertes et des signaux erronés, elles qui habituellement sécrètent et détectent ces messages chimiques pour organiser en fonction leurs comportements – dans un prisme qui s’étend de l’alarme à l’attaque, en passant par l’accouplement. Avec ces manipulations, on observerait un détournement de la micro-société que constitue la ruche, possible allégorie de nos propres systèmes politiques. Avec une attention portée à ce qui influence les êtres dits «sociaux», qui comprennent les insectes, les oiseaux, mais aussi les humains, le travail sculptural d’Antoine Dochniak observe les phénomènes et mécanismes de leurre, d’adaptation, de parasitage ou de survivance, à l’image de celui évoqué plus haut. L’artiste s’intéresse aux fils invisibles qui gouvernent les mouvements et régissent les désirs, en observant comment perturber les habitats, franchir les frontières tacites ou vivre en dérivation d’un système donné; non loin d’ailleurs de la dérive, au sens situationniste, qui déjoue la contrainte de nos espaces urbains.

Dans les œuvres d’Antoine Dochniak s’opère une dialectique de la substance, où le naturel embrasse et se heurte à l’industriel : interviennent au fil des sculptures la cire d’abeille, la crème solaire, les pétales, la fibre pare-balle, le cierge magique, l’acier inoxydable, les pilules d’iode, ou encore les phéromones susmentionnées, entre autres composantes de sa pharmacopée. À l’image de l’abeille à qui l’on doit tant le miel que le venin, la pratique de l’artiste est un jeu d’équilibriste qui consiste à faire converser les paradoxes, dans une confrontation permanente entre la prédation et la proie, le poison et le remède, l’harmonieux et le belliqueux. Dans des œuvres qu’il désigne comme des «zones fictionnelles», qui détiennent leurs propres législations et redessinent les cartographies en place, il présente le symptôme et sa contrepartie, qui aurait trait au soin ou à la protection.

Si l’emploi d’un imaginaire militarisé laisse entrevoir l’évocation d’un conflit ou d’une catastrophe en hors-champ, notre perception reste trouble lorsqu’il s’agit de comprendre si les œuvres les précèdent ou leur succèdent. Le danger demeure en tout cas impalpable, et s’incarne peut-être dans l’évanescence des ondes qui ponctuent le travail de l’artiste, qu’elles émanent de l’imagerie médicale, des rayonnements ultra-violets ou des radiations atomiques. Nourri d’une appréhension géopolitique du monde qu’il rejoue dans ses interstices poétiques, Antoine Dochniak laisse planer la menace mais la fait dialoguer avec un environnement proposant une nouvelle partition des liens qui unissent les espèces vivantes à celles non-vivantes. Il fait de ses sculptures un lieu où nouer des collaborations, conviant notamment, selon ses propres mots, les «oubliés de la chaîne de production». À rebours d’un discours dominant qui préfère l’individuation à l’enchevêtrement, il explore la complexité d’un monde où les abeilles butinent non loin des centrales nucléaires."

Lou Ferrand